Le fantastique dans tous ses états (4e) (16.12.2019) : Supplément au recueil

Printer-friendly versionSend by email

Après la parution du recueil « Peurs sur la Colline », le Bureau de Communication et de Publication a reçu quatre nouvelles qui constituent ce petit supplément, à lire absolument.

  1. Ramsès V/S Marion (Térésa Khachan, Mia jurdak, Nour Maalouf - 4e5)
  2. Sauvez-moi ! (Maria Choueiri - 4e6)
  3. Guérison (Maia Kaldany - 4e6)
  4. Seul… avec toi… (Lorika Eid - 4e5)

 

Ramsès V/S Marion

Marion Dupont, une veuve retraitée, vivait seule depuis quelques années dans un immeuble se situant dans la banlieue parisienne au fond d’une rue aboutissant à une impasse. Elle y avait acheté un appartement qui avait appartenu à un antiquaire spécialiste en art égyptien. Marion aimait son appartement parce qu’elle était elle-même passionnée de civilisations anciennes et son lieu de vie la rendait proche de cette ambiance.

Un soir, elle revenait du marché où elle avait fait ses courses. Elle était particulièrement contente parce qu’elle y avait déniché un miroir qui avait appartenu au pharaon Ramsès. La légende prétendait que ce miroir était ensorcelé car il permettait au pharaon de voir ses ennemis en regardant son propre reflet. Marion portait avec précaution le paquet précieux. Elle allait exposer sa trouvaille sur le mur de son salon. Elle pourrait ainsi chaque soir, en regardant la télévision, se sentir l’une des descendantes du célèbre pharaon qui lui aurait légué son miroir magique.

Ainsi fut fait. Marion ajouta un clou sur le mur et le miroir se retrouva accroché au centre d’autres tableaux représentant des scènes de la civilisation égyptienne.

Le premier soir, quand Marion s’installa dans son fauteuil en face du mur, rien de particulier ne se produisit. Cependant la femme se sentait observée par une présence invisible. Une sourde inquiétude l’envahissait sans qu’elle ne puisse en déceler au juste la raison. Elle se leva et se dirigea vers le miroir qui lui renvoya… l’image de Ramsès. Que voyait-elle ? Était-ce son imagination qui lui jouait des tours ou tout simplement son âge qui lui donnait des visions saugrenues ? Prise de panique, elle s’en éloigna. Une bonne nuit de sommeil la guérirait peut-être et remettrait de l’ordre dans ses pensées ! Dans son lit, elle se tourna et retourna sans pouvoir s’endormir. Elle alluma sa lampe de chevet et, à travers la faible lueur, elle vit ce qu’elle ne pourra jamais oublier. Le miroir lui faisait face, remplaçant celui qui trônait dans sa chambre et le visage de Ramsès l’observait, semblant lui dire : maintenant que je t’ai trouvée, je ne te lâcherai plus. Elle poussa un cri strident et, terrassée de peur, elle s’écroula, dans son lit, sans connaissance.

Les premiers rayons du soleil réveillèrent Marion. Dès qu’elle ouvrit les yeux, elle se rappela l’incident de la veille. Elle n’osa même pas regarder le mur. Pourtant, elle le fit. Rien. C’était son propre miroir qui lui faisait face. Prenant son courage à deux mains, elle se dirigea vers le salon. Une peur lui serrait la gorge. Mais là aussi, pas de miroir. Ce n’était donc qu’un rêve ? Un mauvais rêve ? Le miroir égyptien n’est que le fruit de son imagination ? Marion s’approcha du mur pour vérifier. Et, que vit-elle ? Là, à la place même où elle avait accroché le miroir, il y avait le clou. Le clou d’où rien ne pendait. Mais alors ? Mais alors ?  

Térésa Khachan, Mia jurdak, Nour Maalouf - 4e5

 

 

 

Sauvez-moi !

Charles n’était pas habitué à rester seul la nuit. Il voulait à tout prix prouver à ses parents qu’il était responsable et autonome. Décidé à passer deux jours dans la maison de montagne de ses grands-parents, il regretta sa décision dès que le soleil se fut couché.

Il déposa son sac à dos dans son ancienne chambre et en passant près de la chambre de ses grands-parents, il lui sembla entendre un cri sourd, il se retourna vivement. Il passa la tête par l’encadrement de la porte et à tâtons, alluma la lumière. Il jeta un regard sur l’armoire blanche, jaunie par le temps, le grand lit dont les draps étaient usés, et il inspecta le miroir au cadre doré. Rien d’anormal, tout était habituel. Charles retourna dans sa chambre, ne se doutant de rien.  Ce fut alors qu’il entendit un long hurlement de vieille femme.

Cette voix, il la connaissait ! Et il avait enfin réussi à l’oublier… Jusqu’à aujourd’hui. Voici les faits tout simples.

Il y a exactement dix ans, les grands-parents de Charles partageaient cette chambre. Un jour ils achetèrent un miroir. Mais pas n’importe lequel ! Ils désiraient quelque chose de spécial. Ils revinrent d’une vente privée, très fiers, le miroir sous le bras, et l’accrochèrent immédiatement dans leur chambre. Ils étaient ravis ! La grand-mère disait qu’il lui donnait l’impression d’être plus belle. Le grand-père affirmait qu’il avait l’air plus jeune. Ils l’appelaient « le miroir enchanté » parce qu’ils voyaient ce qu’ils voulaient voir.

Le soir même, leur relation avait commencé à se dégrader. Ils se disputaient sur tout et n’importe quoi ! Et le plus souvent, c’était pour celui qui se regardait le premier ou le plus longtemps dans la glace. Et une nuit, le vieil homme mourut d’une crise cardiaque. Un événement bouleversant pour toute la famille. Quelques jours plus tard, la grand-mère mourut mystérieusement. Et c’était là qu’elle avait poussé ce fameux hurlement, celui qui avait hanté Charles pendant si longtemps.

Et voilà que dix ans plus tard, le jour exact de la mort de la vieille femme, Charles se retrouvait dans la même situation. Il se rendit avec appréhension dans la chambre mystérieuse et aperçut dans le miroir le reflet de sa grand-mère. Elle avait les yeux blancs et le visage émacié et elle était vêtue d’une robe tâchée de sang. Elle hurlait, criait, s’étouffait ! C’était insupportable ! Que faire ? Charles était cloué sur place ! La terreur l’avait gagné, il devenait fou ! Il saisit un livre et l’envoya contre la glace. Celle-ci se brisa en mille morceaux. Et le hurlement se transforma en ricanement. Une silhouette s’échappa du miroir et traversa Charles tout en ricanant. Il resta sur le sol, la tête entre les mains, des larmes coulant sur ses joues. Il était envahi d’un froid glacial. Depuis ce jour-là il ne fut plus jamais le même.

Ah ! Mais ses parents n’étaient pas encore rentrés ! Hier encore ils voulaient jeter le miroir, sa glace chérie, son trésor ! Jamais !

Lorsqu’ils reviendraient, il ricanerait lui aussi, et jamais plus ils ne penseraient à toucher à son miroir….

Maria Choueiri - 4e 6

 

 

 

Guérison

 

Cela faisait un mois, un mois entier que je n’avais pas mis les pieds dehors, quatre semaines que je n’avais vu que des blouses blanches et des seringues. L’hôpital était pour moi un enfer, une cellule de prison, une condamnation, une damnation… Ce qui avait changé ma vie quotidienne, ce qui avait semé le chaos dans mon existence flegmatique, dans ma petite vie insignifiante, ce qui a secoué mon âme confiante et rassurée de nature, ce fut lui, oui lui, puisque c’est un être, c’est une entité empoisonnante, un ennemi discret et futile, le cancer.

 

Cette terrible maladie m’avait déjà arraché plusieurs membres de ma famille dont ma tante, Marie. J’avais cru bien longtemps que cette maladie était l’évènement le plus bouleversant de ma vie.

Mais j’avais tort…

Après une opération douloureuse, les infirmiers m’accompagnèrent dans ma chambre afin que je me reposasse. Là-bas, je me regardais dans la glace face à mon lit. J’avais perdu toute joie de vivre, mon teint cireux témoignait de la lutte à laquelle mon corps se livrait.  Soudain, je crus apercevoir fugacement une silhouette dans le miroir. Une simple divagation, me dis-je. Très vite cependant, je ressentis l’inexplicable impression d’être observée. Je n’osais pas me retourner. Il me semblait distinguer une voix, mais tout demeurait calme. Étais-je en train de perdre la raison ? Était-ce la fatigue qui créait mes hallucinations ? J’essayais tant bien que mal de me calmer mais en vain. Tout à coup, quelque chose me frôla. Prise d’angoisse, je me clouais sur place, des sueurs froides me parcouraient le dos et chatouillaient ma colonne vertébrale. La panique avait pris possession de mes membres tremblants. Ce fut à ce moment-là que j’entendis une voix familière, menaçante, sifflotante, murmurer dans mon oreille : « tu m’as manquée ma nièce… » Aussitôt, je ressentis une émotion si horrible que je heurtai mon lit et tombai à terre, éperdue de peur et d’étonnement, subjuguée par cette présence inopportune et importune, d’ailleurs sordide. Comment était–ce possible ? Tante Marie ne pouvait pas être vivante… Pourtant, je la sentais s’approcher de plus en plus de moi. Apeurée, je criai alors de toutes mes forces essayant de l’intimider. Plus les mois passaient plus les visites devenaient fréquentes. Heureusement après ma guérison, elle ne me hanterait plus. Mais ce ne fut qu’une seule semaine après mon départ de l’hôpital qu’elle vint me guetter chez moi de ses yeux froids, perçants, terribles. J’avais beau le dire à mes parents ils m’ignoraient toujours et me prenaient pour une folle.

   

Et voilà qu’au bout de deux ans, tante Marie m’accompagna à un autre hôpital…

Un hôpital psychiatrique.

Maia Kaldany – 4e6

 

 

Seul… avec toi…

 

Blafarde, la lune blême éclairait sinistrement la pièce qui, à présent, regorgeait de souvenirs enfuis à tout jamais dans les ténèbres et la poussière. M. Duhamel, lui, restait debout, devant les souvenirs de sa femme, le cœur serré et l’esprit fou.     

Il avait besoin d’elle. De la sentir. De la toucher…

Si seulement, il ne l’avait pas laissée toute seule, au milieu de nulle part ! Si seulement, il ne l’avait pas trompée comme un monstre, un lâche ! Elle serait encore là, elle et son parfum de fleurs…

Il tremblait, la solitude et le froid l’avaient glacé jusqu’aux os.

 

Ce fut alors que le jeune homme s’arrêta net.

Une odeur… une odeur qu’il ne connaissait que trop bien chatouillait doucement ses narines.

La pièce sentait les violettes.

Son imagination lui jouait des tours, il le savait, pourtant, il suffoquait… s’étouffait lentement avec le parfum de fleurs, qui le narguait timidement, faiblement, fébrilement.

Duhamel se laissa tomber à terre, las, victime de ses souvenirs qui l’écrasaient.

 Machinalement, sa tête se tourna vers la toile, le portrait de Mathilde, qui dominait le mur, de sa terrifiante splendeur. Sa femme, le visage fermé, le regard glacé, le fixait. Elle semblait, à cet instant, sonder son âme, et la dérober.

Ses yeux se dirigèrent alors doucement vers son propre portrait, où il était peint droit, fier et souriant.

De tendres frissons parcoururent son bras, le griffèrent tels des ongles qui pénétraient sa chair rapidement, brièvement. Duhamel ferma ses yeux, et se perdit dans le silence. Son cœur qui s’affolait, se calma alors, et son souffle irrégulier reprit son rythme.

Le veuf revenait à la réalité doucement. Mais devant lui, se présentait un épouvantable spectacle, qui créa en son âme un flux de sentiments dévastateurs. Les murs se rapprochèrent dangereusement de lui et il se sentit défaillir, faiblir. Son visage, dans son portrait, était griffé.

La toile était écorchée, écaillée et d’affreux trous remplaçaient ses yeux.

Il tressaillit violemment et son cœur, misérable cœur, cessa de battre.

Le temps s’était arrêté, suspendu.

Doucement, il se tourna vers le tableau de sa femme.

Son souffle se coupa et son être tout entier semblait exploser sous la terreur.

Sa femme… souriait.

Un sourire sans joie. Sadique. Effroyable. Comme il n’en n’avait jamais vu…

 

Haletant, Duhamel fuit dans l’ébène de la nuit. Naïf, il croyait pouvoir échapper à l’irrémédiable, à l’incontournable, aux insoutenables affres de la folie. Candide, il croyait pouvoir oublier et tout recommencer, il croyait que ça irait mieux le lendemain, il croyait que l’Humain pouvait… que l’Humain avait son mot à dire face aux forces qui le dépassent, face aux esprits qui le hantent et s’amusent à se jouer de sa santé mentale, face aux démons qui, las de le hanter, dévastent ses nerfs qui, fragilisés et farouches, s’écroulent.

Et lorsque la mort choisit sa proie, il n’y a nulle part où se cacher.

Lorika Eid - 4e5