Thème de l’année 2017-2018

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Thème de l’année 2017-2018

Le silence et l’écoute à l’origine du travail scolaire

Constituant un aspect important du vivre-ensemble, la communication a retenu notre attention au cours de l’année scolaire 2016-2017. Nous avons mis l’accent sur la parole comme le moyen privilégié de cette communication, non seulement dans le milieu scolaire mais dans la vie tout court. Nous avons découvert l’importance d’une parole franche entre nous et nous avons mis en valeur le dialogue entre les différents partenaires de l’école : éducateurs, élèves et parents d’élèves. Était-ce suffisant ? Certainement pas.

En fait, malgré tous les efforts déployés pour améliorer la qualité de la communication à l’école, nous avons bien conscience que ces efforts demandent du temps pour porter des fruits. La parole échangée entre nous s’inscrit toujours dans le temps et l’espace d’une relation humaine et seul le temps peut la faire fructifier. Pour toutes ces raisons, nous poursuivrons cette année nos efforts pour améliorer la qualité de la communication au sein de notre établissement en mettant l’accent sur un autre aspect de la communication, à savoir l’écoute et le silence.

Si la parole est le médium nécessaire à toute communication humaine véritable, cette parole ne se réduit guère à un ensemble de mots ou de gestes échangés entre les personnes. Elle est d’abord une prédisposition innée, une ouverture fondamentale, à l’écoute qui est le fondement réel de toute communication humaine. La parole est sonore mais elle est d’abord silence et écoute. L’écoute dans le silence est le berceau de notre humanité. Tout commence par l’écoute et c’est le silence qui donne sens et profondeur à tout mot dit ou geste échangé. Cette expérience fondamentale marque notre vie humaine dès sa racine.

Se développant autour du cinquième mois de la vie intra-utérine, l’ouïe est le sens le plus aiguisé chez le fœtus. Quand ce sens s’ouvre à la vie, le petit d’homme vit au rythme des battements du cœur de sa mère. Ce battement consiste en une alternance rythmée entre bruit et silence. C’est le silence qui donne le rythme et le sens au bruit. Sans ce silence, il n’y a pas de sens. Nos mots mêmes sont un ensemble de sonorités, marqué par des pauses, des silences, significatifs. Sans silence, les mots se réduisent à un bourdonnement continu dépourvu de toute signification utile. Chaque mot est constitué de syllabes séparées par des pauses - des silences. Chaque phrase est constituée par des mots séparés par des pauses - des silences. Chaque discours est un ensemble de phrases séparées par des pauses- des silences. Aussi la parole humaine est¬elle façonnée par le silence significatif et c’est dans ce silence que la communication humaine ne cesse de naître. Source silencieuse de toute communication, l’écoute du silence marque la distance physique et psychologique entre les êtres humains. Tout mot prononcé naît dans le silence, le mot naît du non-mot, du silence. Même quand on parle, on s’écoute pour parler, on écoute le silence d’où sourdent les mots. Aussi l’acte de s’écouter est-il concomitant à tout mot prononcé et à tout discours élaboré.

Qu’est-ce que cela a à faire avec notre vie scolaire et pourquoi revenir à l’origine de la vie pour parler de notre vivre-ensemble en 2017-2018 ? Comme dans la vie, à l’école tout tourne autour de la parole qui est en même temps mot et silence, mot et non-mot. La vie scolaire des éducateurs et des élèves est fondée sur cet exercice fondamental d’écoute et de parole. Nous baignons tous dans cet environnement de parole et d’écoute. Le professeur qui explique une notion mathématique ou qui déclame un poème. L’élève qui essaie de comprendre un professeur qui explique une nouvelle notion ou qui prend la parole en classe pour poser une question. Un parent qui écoute son enfant qui lui raconte ce qu’il a vécu en classe. Un professeur qui écoute une mère qui le rencontre pour parler des problèmes de son enfant en classe. Un préfet qui écoute un père qui vient lui demander une explication concernant tel ou tel problème à l’école… Nous sommes tous pris dans cette relation d’écoute et de parole et la qualité de notre vivre-ensemble demeure tributaire de cet acte humain fondamental.

Dans le silence, les mots peuvent être bien entendus comme ils peuvent être mal entendus, malentendus. Tout dépend de la qualité d’écoute et de notre capacité à dépasser certains jugements qui peuvent brouiller l’acte réel d’écoute. Certains, par exemple, se demandent à quoi servent les rangs à l’école, à quoi sert ce temps de calme que nous prenons avant d’entrer en classe pour inaugurer notre journée scolaire. Ils regardent cet exercice à partir du point de vue de l’autorité et considèrent que cette pratique dénote une tendance à maintenir une discipline militaire à l’école. Voilà un des malentendus entre nous! Le calme de quelques minutes qu’on instaure le matin à l’école vise à aider les élèves comme les éducateurs à revenir à ce silence intérieur qui est la source du savoir et de la motivation humaine. Un éducateur qui apprécie le calme est celui qui aura moins de mal à retrouver en lui-même la motivation profonde qui le pousse à exercer son métier… un élève qui apprend à se taire pourra découvrir le lieu de son repos qui lui permet de s’ouvrir à la vie scolaire et qui touche son désir d’apprendre, de découvrir et de vivre avec les autres.  Le silence n’est pas le silence des mots seulement mais le silence de tout le corps. Les rangs ne sont qu’une manière d’entrer dans le silence du corps, origine de tout savoir et de toute éducation.

Cette ambiance que nous essayons de vivre dans le cadre scolaire va sûrement à l’encontre de notre tendance culturelle à vivre dans le bruit continuel… les téléphones portables collés tout le temps à nos oreilles, les écouteurs qui bouchent souvent nos oreilles, la musique forte qui marque les lieux de notre vie en famille et avec les amis, les klaxons des embouteillages qui marquent la conduite dans notre pays, tout cela demeure loin de ce que nous essayons de vivre à l’école… Cependant rien ne peut se faire en profondeur sans silence ni écoute : toute production bien écrite, tout morceau de musique bien joué, tout but bien marqué, tout exercice de physique bien fait dépendent tous de l’écoute et du silence. Dans la vie scolaire, l’écoute du silence est le lieu de naissance de tout ce qui est nouveau, de tout ce qui est beau, de tout ce qui est performant, de tout ce qui est intelligent.

Ainsi prenons-nous toute une année scolaire pour nous exercer davantage à cet acte d’écoute dans lequel nous serons tous impliqués. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine de l’éducation jésuite se trouve une éducation à l’écoute, un effort pour rentrer dans le silence de son cœur à travers les Exercices de Saint Ignace de Loyola. Ce qui apparaît peu mais qui fonde notre éducation, c’est une expérience de la prière fondée sur l’écoute de la parole de Dieu. Dieu parle d’abord en silence et son silence est éloquent, il touche les profondeurs de notre cœur humain. Cette expérience cachée à l’école est à l’origine de notre institution et de notre éducation. Puissions-nous retrouver cette origine cachée de notre vie pour que nous accomplissions tous la raison d’être de notre vivre-ensemble, l’éducation de nos enfants et de nos jeunes à la plénitude de la vie.

P. Charbel Batour, s.j.
Recteur