Philippe Torreton : « Si j’étais ministre de l’Éducation nationale, je rendrais la pratique du théâtre à l’école obligatoire ! »

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Comédien engagé, Philippe Torreton aimerait que les liens entre éducation et théâtre se resserrent.

Comme vous l’avez fait encore récemment dans l’une de vos chroniques pour l’Humanité, vous abordez régulièrement les questions d’éducation. Votre mère était institutrice, est-ce la racine de votre intérêt ?
C’est en effet lié à mon enfance, mais ça l’est aussi à mon métier. Avoir une mère institutrice — et militante syndicale ! — m’a évidemment marqué. J’ai découvert très tôt les coulisses de ce métier, constaté les joies immenses qu’il offrait à ma mère, comme les troubles très forts qu’il engendrait. J’ai été le témoin de ses combats pour éviter les fermetures de classes, pour limiter le nombre d’enfants par classe et contre tout ce qui portait atteinte au bien-être dans l’école… Au-delà de ce contexte familial, si je suis devenu comédien c’est d’abord grâce à l’école puisque c’est en son sein que j’ai découvert le théâtre. Je serai toujours redevable aux professeurs qui ont permis ça, à commencer par Gérald Désir, professeur de Français de 5e, qui a accompagné mes premiers pas au club de théâtre du collège Edouard-Branly de Grand-Quevilly. Si je m’exprime en effet régulièrement sur l’éducation, c’est pour défendre les liens entre l’école et les théâtres.

Ces liens vous semblent trop distendus ?
Incontestablement. Ils sont de plus en plus ténus et lorsqu’ils existent, c’est toujours parce qu’il y a du côté des responsables des théâtres comme du côté des écoles, des femmes ou des hommes particulièrement motivés. On compte donc toujours sur l’extraordinaire implication des uns ou des autres pour que les élèves puissent voir une pièce ou s’essayer eux-mêmes à jouer la comédie, alors que cela devrait être généralisé. Le principe d’une réserve citoyenne à laquelle on invite les acteurs à prendre part me laisse d’ailleurs dubitatif puisque se faire rencontrer élèves et comédiens est déjà dans le cahier des charges des théâtres nationaux. C’est un mal très français de créer un dispositif pour pallier les lacunes ou le manque d’efficacité d’un autre dispositif.

Avez-vous souvent l’occasion de vous rendre dans les écoles ?
J’essaye d’y aller régulièrement et de répondre présent lorsqu’on me le demande, ce qui arrive notamment lorsque je suis en tournée avec une pièce, comme c’est le cas actuellement (voir ci-dessous). Je suis d’ailleurs désolé de constater que beaucoup d’établissements ne possèdent pas de club-théâtre, c’est absurde et… « criminel ». Le but d’un club-théâtre n’est évidemment pas de former de futurs comédiens — les prétendants ne manqueront jamais ! — mais de faire en sorte que chaque jeune développe une forme de confiance en lui. En apprenant à jouer, les élèves vont acquérir un début d’aisance face à une audience, découvrir leur présence aux autres, affronter leurs regards, appréhender le langage du corps, etc., et, bien entendu, ils vont découvrir des textes, des auteurs, des idées différentes… Le théâtre, c’est de la connaissance absolue et de la connaissance de soi. Si j’étais ministre de l’Éducation nationale, je rendrais la pratique du théâtre à l’école obligatoire !

Une pratique à laquelle vous conviez aussi les enseignants ?
La presque totalité des enseignants se retrouve face à leurs premiers élèves sans jamais être passée par la case théâtre. Or ils vont s’adresser à un public (très exigeant) pendant toute leur vie de profs. Inclure dans leur cursus un peu de travail sur la voix et le corps me semblerait, en effet, très profitable. Dans le film  « Ça commence aujourd’hui » de Bertrand Tavernier, je jouais un instituteur de maternelle. Le tournage se déroulait dans une vraie classe et l’activité scolaire se poursuivait pendant celui-ci. Un jour, des stagiaires sont venus dans « ma » classe ; le vrai instituteur était bien sûr présent. Leur extrême timidité face aux enfants m’avait stupéfait. Ces futurs profs étaient visiblement mal à l’aise devant les gamins, comme écrasés par le poids que représente la responsabilité de « faire classe ». Bien sûr, avec le temps, ils trouveront leurs marques. Mais connaître quelques techniques d’acteur ne serait pas inutile. Je ne prétends pas expliquer aux professeurs comment enseigner et je ne pense pas que l’on puisse apprendre à enseigner, car il s’agit d’abord d’une aventure humaine personnelle. Mais dans cette aventure humaine, le théâtre me semble avoir sa place. D’ailleurs chacun de nous se souvient d’un ou d’une prof qui avait une présence particulière, une autorité naturelle, une manière de parler captivante…

Un bon professeur l’est donc avant tout par sa présence ?
Pour les niveaux collège et lycée, je crois en effet que l’individu qui enseigne est plus important que la matière qu’il enseigne. C’est lui, l’homme ou la femme qui se trouve devant moi, qui va ou non m’intéresser à sa matière. Si la « forme » ne remplace le savoir, je crois qu’un bon professeur est d’abord celui qui surprend, qui fait aimer ce qu’il dit… ce qui est aussi vrai pour le comédien ! Les passerelles entre théâtre et enseignement sont nombreuses. Il y a autant de manières d’enseigner qu’il y a d’enseignants, autant de façons de jouer Cyrano qu’il y a de comédiens. Au théâtre, le spectateur vient pour être séduit, choqué, interpellé, bousculé par une histoire, une mise en scène, un décor, un jeu d’acteur, bref, pour qu’il se passe quelque chose de vivant. Face à une classe, la dynamique est la même. Pendant mon année de troisième, un professeur de mathématique avait réussi à me passionner pour cette matière. J’en étais arrivé à faire des exercices pour le plaisir. C’était la première fois – et la dernière ! – que j’avais de très bonnes notes. Le cœur de l’enseignement c’est une affaire d’être humain.
Dans votre livre « Cher François », une lettre au président Hollande est dédiée à l’école. Vous y écrivez notamment, « il faut que l’école apparaisse comme un partenaire de l’élève et non comme une institution bornée qui ne voit rien et pond de l’injustice à longueur de journée ». Vous êtes très critique vis-à-vis de l’éducation nationale !

Oui, mais ma critique vise l’école telle qu’on l’appréhende dans les ministères, elle ne vise en aucun cas le corps enseignant. Je défendrai toujours les profs, je sais les efforts incroyables qu’ils font pour digérer des réformes indigestes qui s’enchaînent les unes derrière les autres.

Plus globalement, l’école ne semble pas être suffisamment un lieu de découverte de soi. Cela reste d’abord, et parfois presque exclusivement, un lieu d’apprentissage. Bien entendu les élèves sont là pour apprendre, mais ils sont là surtout pour se découvrir en train d’apprendre. Je regrette par exemple que l’école ne tienne presque jamais compte de l’élève qui a une activité sportive ou artistique importante hors de l’établissement. Elle devrait au contraire, accompagner, aider cet élève dans sa pratique du piano, du football, du théâtre, car c’est un enrichissement qu’il partage avec d’autres. Les directeurs d’établissement devraient davantage prendre en considération ces efforts-là, ces réussites notamment quand il s’agit de juger un élève en difficulté dans les matières enseignées au tableau noir. Lui dire « ton activité extérieure compte pour l’école » ne serait que justice.

Je pense aussi qu’il faudrait en finir avec le Bac qui est à l’opposé d’une approche intelligente des parcours des élèves.

Que reprochez-vous à cet examen ?
Il y a une course au Bac qui me désespère. D’ailleurs, le système a tellement perdu de son sens que, pour assurer un taux de réussite supérieur à 80 %, on ne fait qu’assouplir année après année les exigences, le système de notation.
Pour que cessent les inégalités qui se creusent entre ceux qui ont le bac et ceux qui ne l’ont pas, il faudrait donner le Bac aux élèves qui ont fait le choix d’une formation professionnelle. Celle-ci achevée, l’élève tourneur-fraiseur, boulanger, tailleur de pierres, etc. obtiendrait le Bac ; pas un CAP, un BEP ou un Bac Pro, non, il aurait juste le Bac. Ainsi, si 10 ou 15 ans plus tard, il — ou elle — a envie d’approfondir sa formation, de la compléter ou de changer radicalement de voie, il pourrait le faire sans ce barrage qui est de « ne pas avoir le Bac ». Cela permettrait de supprimer le signal que l’on envoie à nos enfants depuis des années et qui laisse entendre que celui qui fait un travail manuel a échoué à l’école, ce qui est sidérant de bêtise. Pour les autres, le Bac devrait d’ailleurs être attribué sur dossier. Quel sens cela a-t-il de sanctionner la scolarité par une série de contrôles ramassés sur une poignée de jours ? En quoi cela traduit-il un parcours ? Je suis partisan de faire uniquement passer des épreuves aux élèves qui ont manifesté des difficultés sur telle ou telle matière. Cela permettrait de motiver les élèves à travailler tout au long de leur scolarité.

La note, dont le Bac est si friand, décourage les élèves, bons comme mauvais, car elle prétend résumer l’élève par un chiffre « vrai » en oubliant le travail humain et sensible qu’il y a derrière. Alors oui, je le redis, je rêve d’une autre école, une école davantage partenaire de l’élève.

Olivier Van Caemerbèke