Nous du Collège n°285, juillet 2016

Printer-friendly versionSend by email

[Nous 285 (entier) : version consultable en ligne, cliquez]
(version compatible PC & smartphone)

Nous du Collège n°285, juillet 2016

Éditorial : Prendre le temps de réfléchir

Apprendre à « Penser par soi-même », tel devrait être, selon Philippe Meirieu1, le but de l’éducation.  En effet, penser par soi-même suppose d’accéder à un rapport critique à la vérité. Et, toujours d’après Meirieu, « c’est le rôle de l’autorité éducative que de créer les conditions de ce rapport ». Mais l’autorité de l’adulte est d’abord et avant tout « une affirmation de l’antériorité », en ce sens que l’enfant doit comprendre « qu’il ne s’est pas fait tout seul et qu’il n’est pas arrivé dans un monde vide. »

Seulement voilà, les connaissances antérieures ne sont pas directement accessibles : il faut les chercher, les découvrir petit à petit, s’efforcer de les comprendre. Ainsi, selon Meirieu, les deux piliers de l’éducation à l’autonomie sont la démarche expérimentale et la recherche documentaire. Mais pour cela, il faut être capable de s’associer avec d’autres. Chose qui n’est pas toujours simple « tant est grande la tentation de vivre dans l’obsession de ses propres désirs et de ne considérer que ses intérêts immédiats. C’est pourquoi s’associer suppose un engagement dans un « faire ensemble » et une confrontation, à cette occasion, avec autrui. Avec mes proches et, petit à petit, avec des êtres qui me sont plus lointains, voire étrangers. Et c’est, là encore, le rôle de « l’autorité éducative » que de créer la possibilité d’accéder au « faire ensemble » et à ses exigences ». Dans ce but, il faut s’efforcer de faire échapper l’enfant et l’adolescent à la tyrannie du tout-tout de suite et les inciter à prendre le temps de réfléchir. C’est ainsi qu’on accède à une forme de relation avec les autres qui tolère le désaccord. Et le rôle de l’adulte est donc, ici, de permettre à des personnes de réaliser ensemble une tâche commune, en dépit de leurs différences, plus encore, en raison de leurs différences.

S’émanciper et s’associer sont ainsi les deux objectifs d’apprentissage que l’éducation doit se donner prioritairement. Pour les atteindre, il y a une méthode dans laquelle l’adulte devrait investir son autorité et son énergie éducative : le projet. Créer des situations qui permettent à des élèves de tous les âges de se construire, collectivement et individuellement, dans un « faire ensemble ».

Dans quelle mesure notre enseignement à Jamhour correspond-il à cette démarche de projet ? La question se pose notamment au niveau du Secondaire, mais aussi et surtout à partir de la 3e d’autant plus que nous devons sans cesse concilier les contenus de deux programmes de plus en plus divergents. Ne travaillons-nous donc pas dans l’urgence ? L’urgence d’achever à tout prix les programmes libanais et français en vue de préparer au mieux nos élèves aux échéances officielles du brevet et du bac. Le tout est donc finalement de savoir quelles sont nos priorités : préparer nos élèves à ces échéances ou les former à la citoyenneté grâce à la démarche exposée par Meirieu ? Nous serait-il possible de réaliser ces deux objectifs à la fois ou sommes-nous condamnés à subir les contraintes et les exigences des programmes ? En un mot, s’agit-il de transmettre à nos élèves le maximum d’informations ou de les former au sens critique et à la coopération ?

La rédaction

1- Illustre chercheur et écrivain français, spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie.